D’après l’article de Anne-Judith Waligora-Dupriet et Jean Marc Chatel « Microbiote et réactions allergiques » in Le microbiote intestinal – Un organe à part entière ; John Libbey Eurotext ; 2017 [pp.239 à 246].
Un problème de santé publique
Les phénomènes allergiques peuvent avoir des manifestations cutanées (dermatite, urticaire), respiratoires (asthme) ou généralisée (réaction anaphylactique). Leur prévalence, c’est à dire le nombre de cas d’une maladie dans une population à un moment donné, englobant aussi bien les cas nouveaux que les cas anciens était estimée en France en 2017 d’après les chiffres de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) à 15-20% pour la dermatite atopique, 7 à 10% pour l’asthme, 15 à 20% pour la rhinite allergique. Les allergies alimentaires représentaient quant à elles 2% chez l’adulte et 5% chez l’enfant.
Les scientifiques ont par ailleurs observé une augmentation de ces proportions au cours des 20 à 30 dernières années dans les pays industrialisés, si bien qu’on estime aujourd’hui que 25 à 30% de le population est concernée par une affection allergique.
Premières années de vie et diversité du microbiote intestinal
Les allergies sont des affections multifactorielles, résultat de la conjonction de facteurs génétiques et épigénétiques (environnementaux). Pour expliquer le phénomène allergique, on évoque souvent une réponse immunitaire défaillante, mais les perspectives nouvelles ouvertes par les recherches les plus récentes autour du microbiote intestinal tendent à investiguer autour de cet écosystème, d’autant plus que des modifications du microbiote intestinal ont été détectées chez les sujets allergiques, parfois même avant toute manifestation symptomatique. Découvrez ci-dessous de façon simple et didactique en quoi consiste le microbiote intestinal, comment il se constitue, et quels sont les rôles majeurs qu’il occupe au sein de notre organisme.
Ce que tendent à prouver les recherches les plus récentes, c’est que le développement du microbiote intestinal chez le nouveau-né, caractérisé par son immaturité au niveau digestif et immunitaire, est déterminant. Il est conditionné par un ensemble complexe de mécanismes, parmi lesquels une implantation tardive de certains lymphocytes (globules blancs). Ces derniers, en lien avec l’immunité maternelle, sont les premiers antigènes, avec ceux de l’alimentation, rencontrés par le nouveau-né. On sait désormais qu’une naissance par voie basse permet à l’enfant de bénéficier des germes saprophytes et de la flore commensale de sa mère, dont il s’enduit le corps et les muqueuses lors de la délivrance. A l’inverse, un enfant né par césarienne héritera de l’environnement bactérien hospitalier dans lequel il est accueilli et verra se constituer une plus faible diversité de son microbiote intestinal pendant les deux premières années de sa vie.
Le phénomène allergique se développe dans un écosystème
intestinal appauvri
Cette théorie impliquant le microbiote est par ailleurs confortée par le fait que certaines études ont corrélé un risque plus élevé d’allergie à des facteurs reconnus pour modifier l’implantation du microbiote tels qu’une grande prématurité, une antibiothérapie de l’enfant ou de la mère pendant la grossesse.
Pour autant, les études ne parviennent à ce jour pas encore à déterminer une signature allergique claire du microbiote. Certes on observe chez les populations d’enfants allergiques une dysbiose avec une incidence de colonisation plus faible par les lactobacilles que chez les enfants non allergiques, et une proportion plus importante de bactéries aérobies dans le microbiote des sujets allergiques. Mais une diversité restreinte des bifidobactéries serait aussi liée aux phénomènes allergiques, de même qu’une différence qualitative à l’intérieur même du genre Bifidobacterium.
Le risque de développement de phénomènes allergiques est par ailleurs majoré lorsque la colonisation bactérienne, par le genre Clostridium notamment, est précoce. C’est par exemple le cas lorsqu’une colonisation à Clostridium difficile survient avant l’âge de deux ans, et dont on sait qu’elle est un élément largement prédictif d’un développement allergique futur.
Néanmoins, il n’existe encore à ce jour pas de consensus dans la communauté scientifique à ce propos, car si certaines études ont démontré qu’une colonisation retardée par les bifidobactéries était associée à un risque de développer une allergie, cette première hypothèse n’a pu être confirmée dans les suivis d’autres cohortes.
Néanmoins, les résultats de toutes ces études établissent une relation claire entre microbiote et allergie, même s’il est impossible de conclure sur le rôle d’espèces, genres ou groupes particuliers impliqués dans le développement de l’allergie.
Enfin, les études prospectives révélant que des modifications de la composition du microbiote intestinal peuvent être détectées avant tout syndrome atopique ne peuvent démontrer lequel de ces facteurs apparaît en premier. L’atopie pourrait ainsi être liée à un état de la muqueuse favorisant certaines populations bactériennes au détriment des autres. Par ailleurs, toutes les bactéries ne semblent pas jouer le même rôle dans la stimulation de l’immunité, et certaines sont certainement plus importantes que d’autres. Néanmoins et malgré les divergences entres les études, il semble que la diversité du microbiote intestinal soit un facteur déterminant dans le risque d’allergie. Une faible diversité du microbiote pendant les premières semaines de vie a été associée à un risque plus élevé de sensibilisation et d’allergie cutanée, alimentaire et respiratoire. Cette relation entre microbiote intestinal et allergie suggère qu’une modulation du microbiote pourrait prévenir les allergies, et justifie la recherche utilisant des probiotiques ou des prébiotiques comme stratégie alternative dans le traitement, mais surtout la prévention des allergies. Une méta-analyse récente (2012) montre que l’administration à la femme enceinte de probiotiques semble prometteuse pour prévenir la dermatite atopique chez l’enfant. Cependant, et malgré une littérature abondante et des effets prometteurs, aucun produit ne bénéficei à ce jour de recommandations par les allergologues.